Parlons un peu d'accouchement.
Je parle pas mal de ma grossesse ici, j'attends un troisième diablotin pour cet automne. Mais un jour, dans quelques semaines, il devra sortir, ce petit bonhomme.
Comment, est la grande question.
Jusqu'ici j'ai toujours été plutôt une bonne cliente pour le milieu médical. Je partais du principe que le docteur connait son boulot, et je faisais ce qu'il me disait, en gros. Je n'ai jamais remis en questions certains protocoles que d'autres tentent d'éviter, convaincue que j'étais qu'ils étaient mis en place pour notre santé avant tout.
Mais ça, c'était avant.
Quand j'ai subi ma seconde césarienne, ce fut vraiment dur. J'ai trouvé cette intervention violente (la première aussi mais dans d'autres circonstances, je crois l'avoir mieux vécue). Si on ne ressent bien entendu pas la douleur, j'ai tout de même eu droit à de charmantes sensations qui, 4 ans après, me font encore faire des cauchemars.
J'ai senti qu'on m’enfonçait une sonde urinaire. J'ai senti le scalpel ouvrir mon ventre. J'ai senti qu'on appuyait très fort sur moi pour faire descendre le bébé. J'ai senti l’arrachement de son corps au mien. J'ai senti la main qui me fouillait par cette plaie pour nettoyer, enlever, placenta et autres joyeusetés. J'ai senti qu'on recousait ma peau. La gyneco m'avait prévenue que j'allais sentir hein, pas d'erreur médicale là dedans. D'ailleurs la première fois j'avais senti aussi, mais j'étais tellement dans les choux que j'ai cru que je délirais.
J'ai souffert de ne pas avoir la force de prendre mon petit dans mes bras. J'ai eu une affreuse nausée à n'en plus finir. J'ai mis des heures à bouger mes pieds, trois jours pour manger, un mois pour marcher sans être pliée en deux, quatre mois à ressentir une extrême fatigue, deux ans avant de ne plus sentir la cicatrice.
Oui, je sais: certaines femmes sont debout le lendemain et diront: "ça tire un peu"!. Chacun son vécu. Pour moi, la césa, c'est pas funky, et j'ai des bouffées violentes quand j'entend dire qu'il faut en finir avec les césariennes de confort car je n'ai rien vécu de moins "confortable" de ma vie.
Bref.
J'ai détesté entendre "le principal c'est que bébé aille bien". Comme s'il fallait cacher ses souffrances, taire sa douleur, parce qu'au final personne n'est mort ou handicapé. Bien sûr ça pourrait être bien pire. Ca peut toujours être pire, ou presque. Mais le gars sur terre qui vit le pire du pire n'est pas le seul à souffrir, et les autres n'ont pas à fermer leur bouche. La hiérarchie de la douleur, physique ou morale, ça m'énerve. Si ça va mal, ça va mal, point. Fin de la parenthèse métaphysique.
Tu l'auras compris, pour moi, m'occuper d'un nourrisson tout en récupérant de cette opération chirurgicale, en allaitant et en gérant deux autres enfants plus grands, c'est quelque chose qui me fait peur et me semble au dessus de mes forces.
J'ai subi deux césariennes, et tous les docteurs que j'ai pu voir m'ont toujours dit que 2=3 et qu'en cas de troisième diablotin, la voie de sortie était toute trouvée. J'avais donc intégré ça comme une obligation médicale, "le risque de rupture utérine est trop important et la rupture utérine c'est la mort", m'avait-on dit, partout.
Le temps, ce coquin, faisant son oeuvre, nous avons décidé malgré tout de tenter l'aventure du troisième bébé si mère Nature, cette chipie, voulait bien nous en laisser la chance. Ce qu'elle fit, grand merci à elle.
Mes deux enfants sont donc nés par césarienne, l'une en urgence, l'autre programmée, en présence du papa. Dans deux maternités différentes, en région parisienne. Je n'imaginais pas qu'il puisse en être autrement.
Quand j'ai appris ma grossesse, maintenant que je vis à Perpignan, je me suis mise en quète de l'endroit idéal pour cette troisième césarienne, en présence de papa, donc.
Il y a dans tout le département 66, trois maternités, pas une de plus. Aucune n'accepte la présence du père pour les césariennes.
Impensable, n'est-il pas?
Pour moi en tous cas ça l'est. Car affronter une pareille épreuve, seule, sans le soutien de mon cher et tendre, me semble inimaginable.
J'ai pourtant expliqué qu'il était habitué, promis qu'il serait sage et propre, qu'il ne s'évanouirait pas, qu'il n'aurait pas bu et ne ferait aucune blague graveleuse...rien à faire. Le protocole, c'est le protocole. Le putain de protocole.
A l’hôpital, la maternité qui m'a semblé la plus à l'écoute des trois, la charmante gynéco m'a expliqué que "si tout se déroulait bien, il pourrait entrer sitôt le bébé né". Quand on me recoud. Disons que ce n'est vraiment pas suffisant. Je ne sais pas si j'aurais la force d'y entrer seule, moi, dans ce bloc...sachant ce qui m'y attend.
Alors j'ai dégainé mon téléphone, et j'ai appelé d'autres maternités, hors du département. Loin, même. Après tout, une césarienne programmée ne nécessite pas de proximité immédiate, pas vrai?
Mais tu vas rire, ou halluciner avec moi: il n'y en a pas une, dans toute la REGION qui accepte la présence du papa dans le bloc. Pas une!!! Moi qui croyait que c'était quasi la norme, en bonne ex-parisienne que je suis. On en apprend tous les jours, même à mon grand-âge, ma bonne dame!
J'ai été prise d'une grande colère. J'ai dit des choses très rudes et injustes, sans doute. J'ai regretté d'avoir quitté ma capitale pour cet espèce de désert médical archaïsant. J'ai pesté contre ces maternités fascistes qui imposent leurs règles confortables pour elles, sans doute, mais qui négligent ce que j'estime être mon besoin fondamental et même le droit de mon homme à voir son fils naître. En quoi c'est dérangeant, dangereux? Ce ne le fut pas pour les deux premiers.
Bref, j'étais, et je suis toujours, en colère. Je comprends à la limite que ça puisse rester "à la tête du client": il est possible que certains posent problème dans un bloc opératoire. Les hôpitaux ne vont pas embaucher un service d'ordre pour virer les dangereux. Mais en faire une règle intransigeante me parait juste inhumain.
J'en étais à me dire que j'allais pondre mon gamin dans ma cuisine toute seule, avec un cutter, quand je me suis mise à faire des recherches sur le sujet un peu partout. J'ai contacté des associations, j'ai été sur des forums, j'ai intégré des groupes facebook...
Et là, ma belle et grande confiance aveugle dans le milieu médical, déjà sérieusement entamée, a pris le coup de grâce.
Le postulat initial qui est que je ne pouvais pas accoucher par voie basse après deux césarienne...j'ai découvert qu'il était complémentent faux. Mais oui!!!
Ce n'est pas vrai!
Un accouchement par voie basse après une césarienne, on appelle ça un AVAC, dans le jargon des initiés. Après deux césariennes, c'est un AVAC2, ou un AVA2C.
C'est pratiqué en Suisse et au Canada, entre autres, d'après ce que j'ai pu en apprendre. Et sans doute dans d'autres pays.
En France? c'est plus que rare. J'ai trouvé une maternité à Nice qui le pratique, et une ou deux sur Paris. Il y en a peut être d'autres, je l'espère en tous cas.
Et le fameux risque de rupture utérine?
Il existe, bien sûr. Mais ça reste vraiment très, très rare, même si je n'ai pas de chiffres, je n'ai aucun exemple réel dans tous les exemples de tentatives d'AVAC et d'AVAC2 que j'ai pu lire. Certains symptômes et signaux alertent les médecins en général avant que les 7 couches de tissu qui composent l'utérus ne lâchent et une césarienne en urgence est alors pratiquée.
Certains critères plus ou moins reconnus guident les praticiens pour décider de l'accord pour tenter ou non: raisons des césariennes précédentes, taille de la cicatrice, temps écoulé entre les grossesses...
Il se trouve que mon cas est hautement éligible. Pendant ma seconde césarienne, la gynéco m'a lancé, alors que mon ventre venait d'être ouvert:"oh, magnifique cicatrisation de la première césarienne, il n'y a quasi plus rien! Vous avez mon accord pour une troisième grossesse dans un an!". J'ai eu envie de lui répondre: "recousez-moi d'abord, merci, on en reparle un peu plus tard..."
Mes bébés passent par mon bassin sans soucis, radios à l'appui. Mon troisième diablotin est pour le moment bien loin de la cicatrice, de laquelle il ne doit pas trop s'approcher pour ne pas la fragiliser.
Bref, je peux sans doute le tenter. Si j'étais Suisse ou Canadienne,ou Niçoise, ou Parisienne...? Quelle injustice!
J'ai été de nouveau bien en colère. J'allais me faire de nouveau charcuter le bide parce qu'ici, parler d'AVAC2 c'est quasi un gros mot. Oui, car j'ai du coup rappelé les trois fameuses maternités de mon département...dans deux on m'a quasi traitée de foldingue suicidaire. A l'hôpital, toujours, on m'a écoutée. Mais c'est non, ils ne font pas, pas moyen.
J'ai recommencé mes appels longue distance, et là...oh miracle.
Dans une maternité à 80 km de chez moi, un gynéco m'a écoutée. M'a dit qu'il n'avait jamais fait d'AVAC2 et que dans cette maternité, ça ne se faisait pas jusque là. Mais qu'il acceptait de me rencontrer et de voir. Imagine ma joie...rien que d'accepter d'aborder le sujet...
J'ai donc filé au RDV de ce gars et il m'a confirmé ce que je pensais: je peux le faire. J'ai adoré ses mots:
-" Pour le moment tout est ok pour moi. Si vous pensez que vous pouvez le faire, je vous suis".
Un peu que je peux le faire, le couteau entre les dents, mec!
Attention, il y a de sacrées précautions. J'en suis d'ailleurs ravie car soyons clairs: je ne veux ni mourir, ni que mon bébé ne meure, ni que l'un, l'autre ou les deux ayons des séquelles de cette naissance.
Je dois dès maintenant voir ce docteur tous les 15 jours. Il vérifie les données à chaque fois. Je continue à me faire suivre en parallèle à l'hôpital près de chez moi. Je ne dois pas dépasser la date du terme pour accoucher naturellement. Il sait qu'on peut déclencher, contrairement aussi à ce qu'on nous raconte concernant les AVAC, mais il ne tentera pas.
Pendant le travail, si les choses traînent, si j'ai des symptômes bizarres, s'il a le moindre doute: au bloc dans la minute. "Je ne prendrais aucun risque", m'a t'il dit. Ça tombe bien, je ne veux moi non plus en prendre aucun.
Ah, petit détail charmant: la péridurale risquant de retarder le travail, je devrais m'en passer. Gloups.
Mais si c'est le prix à payer, je crois que je le payerais. D'autres l'ont fait sans avoir un tel enjeu.
Je me demande pourquoi, tout de même, il n'est pas juste évident partout de tenter, quand c'est possible, un AVAC2? Les docteurs se retranchent derrière les "risques". Pourtant j'ai mis mon nez dans des études montrant qu'un AVAC2 n'est pas plus risqué qu'une césarienne.
Mon esprit devenu critique envers le corps médical, voire partisan de certaines théories du complot, me souffle des trucs pas très catholiques...manque de formation? Manque d'information? Facilité et rapidité pour une césa qui dure 20 minutes, par rapport à un AVAC2 qui dure des heures et nécessite une surveillance accrue? Assurances frileuses car peu informées? Pouvoirs publics et médicaux complêtement indifférents aux souffrances des femmes césarisées? Sans parler du coût, c'est cher, une césa, hein, pour la sécu (à l'attention de tous ceux qui râlent contre les profiteurs, y a du fric ici!).
Je vais quand même t'expliquer pourquoi j'y tiens tant, pourquoi je suis prête à parcourir 80 km en ayant commencé à accoucher pour aller tenter d'avoir mon bébé par voie basse alors que l'hôpital de Perpignan est à 10 minutes de chez moi.
Certaines femmes qui ont accouché par césarienne se sont senti "dépossédées" de leur accouchement. Elles se sont senti "incapables" de mettre leur bébé au monde. Elles doivent ensuite faire le deuil de leur accouchement rêvé.
Ce n'est pas mon cas.
D'autres te parleront de féminité, d'accomplissement de soi, de spoliation, de se sentir femme...
Ça m'est étranger.
Je suis pour ma part entièrement tournée vers l'après. Me lever après mon accouchement. Prendre mon bébé dans mes bras. Le baigner. Le changer. Le prendre pour le nourrir quand il a faim. Ne pas subir cette foutue sonde urinaire que je hais au plus haut point. Ne pas sentir de fils, d'agraphes, dans mon corps. Ne pas avoir une perf dans chaque bras. Pouvoir me laver, manger. Rentrer chez moi au bout de trois jours. Rien que ça me semble un rêve...
Ne pas souffrir le martyre quand l'anésthesie s'arrête, et les heures, les jours suivant. Ne pas supplier pour une dose supplémentaire d'anti-douleurs balaizes parce qu'en allaitant on te donne du paracétamol, point barre. Pour une opération chirurgicale, c'est light, crois moi.
Pouvoir rentrer chez moi debout et droite, m'occuper de mon bébé et de mes deux autres enfants, avoir la force de faire quelques courses, la cuisine...récupérer d'un accouchement et d'une grossesse, pas d'une opération en prime. Ne pas pleurer en regardant cette partie de mon corps, rouge, boursouflée, endolorie, dure, qui ne réagit pas pendant plusieurs mois...Ne plus endurer tout ça.
C'est ça, ma motivation.
On y croit?
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