Je vais te rassurer tout de suite: il n'y a pas eu qu'une seule fois, bien sûr. Comme tout le monde, il m'arrive de mentir!
Que ce soit de pieux mensonges pour ne pas blesser, des mensonges par omission pour éviter les ennuis, des mensonges/pirouettes pour se sortir d'un mauvais pas...évidemment, nous mentons tous.
Mais je vais te raconter la première, mais aussi la dernière fois où j'ai menti pour faire du mal délibérément.
C'est amusant parce que même si 30 ans et même plus sont passés, je m'en souviens avec une terrible acuité.
J'étais en CM2, j'avais 10 ans.
C'était une bonne année pour moi. J'étais dans une bonne classe, j'avais des amis, j'étais forte en sport. Fait étonnant qui mérite d'être souligné, vu qu'ensuite j'ai été terriblement mauvaise au collège. Je faisais l'équilibre sans appui, je marchais sur les mains, je courrais vite...et puis paf un jour je n'ai plus été capable de rien en 6ème.
Dans ma classe, il y avait un gamin. Je me souviens bien de lui, il s'appelle Frédéric. Il avait les cheveux chatain clair. Le genre beau gosse, grande gueule, star de la cour.
Il m'embêtait régulièrement. Rien de méchant, mais il se faisait remarquer. Je ne me souviens plus très bien, mais je crois qu'il me tirait un peu les cheveux, tentait de me faire des farces, des blagues...Ca ne fonctionnait pas, je me fichais bien de lui et ne lui accordait ostensiblement aucune attention.
Je n'ai jamais été intéréssée par les stars populaires, je suis timide et j'aime fréquenter des gens comme moi.
Un jour, j'étais sous le préau de la cour pendant la récréation. Je crois que je jouais à la corde, mais je ne suis plus sûre. Je sais que lui étais en jean et en pull bleu, ça je m'en souviens parfaitement. Son pull était bleu électrique.
Je ne le voyais pas, mais j'ai su qu'il avait commencé à courir dans ma direction derrière moi, et tout en courant, il m'a mis un claque sur les fesses. Très fort. Très ostensiblement. Très "pour que toute la cour en profite".
Et il a continué à courir, alors que s'élevait un énorme éclat de rire autour de moi.
Ma toute première rencontre avec ce qui ressemble à une agression sexuelle.
Je me rappelle de la tempète sous mon crâne, de l'impuissance, de l'énorme stress qui a paralysé tous mes membres. Mes copines autour criaient "il t'a mis une main aux fesses!".
Je ne sais plus ce que j'ai fait, je sais que j'étais morte de honte, de peur, de rage et de colère contre le monde entier.
Que s 'est il passé ensuite? J'ai tout effacé de ma mémoire. Je suis sans doute simplement retournée en cours et la journée a continué. Je n'en n'ai parlé à personne. J'avais honte, j'ai fait comme si de rien n'était. Je ne connaissais pas les codes: quelle était la conduite à tenir dans un cas comme ça?
Quelques temps plus tard, une camarade s'est plainte à l'instituteur de la disparition de sa trousse. Je crois bien que c'était sa trousse, oui. Ou est ce que c'était un billet de 10 francs? Je ne suis plus tout à fait sûre. On va rester sur la trousse.
Pendant la récréation, elle avait disparu. Elle pensait qu'un élève l'avait volée en allant ou en revenant de la cour. On a tous un peu cherché, au cas où il s'agissait d'une mauvaise plaisanterie du genre "je jette ta trousse à la poubelle". Sont parfois cons les gamins, hein.
On en l'a pas trouvée. L'instit' nous a alors demandé si quelqu'un savait quelque chose.
J'ai levé la main. J'ai dit que j'avais vu Frédéric fouiller dans le sac de la gamine en partant en récré. Je n'avais pourtant rien vu.
La tête qu'il a fait à ce moment vaut son pesant d'or, ou de remords, au choix. Evidemment nul n'a remis ma parole en question, moi la bonne élève calme à lunettes du premier rang.
N'ayant jamais voulu reconnaître le larcin ni rendre son objet, évidemment, il a été sévèrement puni, ses parents ont été prévenus, etc.
J'ai été heureuse qu'il soit puni, qu'il ait honte,comme j'avais eu honte. Même si ce n'était pas pour la bonne raison.
C'était mal, je le savais très bien. Si jamais je le revois un jour, je lui demanderais sans doute pardon.
Cependant je ne regrette pas vraiment, et en connaissance de cause je ferais peut être de même à nouveau. Peut être.
Dans les années 80, et encore aujourd'hui hélas pour beaucoup d'entre nous, il était impensable à une gamine de 10 ans d'aller dire à son instit' ou à quelque adulte que ce soit, parents compris, qu'elle vient de se prendre une main aux fesses dans la cour.
D'abord parce qu'on n'y est pas préparées. Oh ensuite, on développe toutes un tas de stratégies pour lutter contre ça mais rarement avec une aide extérieure. Et pas avec une aide venant d'une "autorité". Dans le métro bondé, on cherche à coller son dos à la vitre...
Ensuite parce qu'on a honte. Je n'aurais pas pu raconter et donc revivre ça, encore moins à un adulte. Et si jamais ça venait à être étalé de nouveau en public...inimaginable.
Et parce que je n'aurais pas pensé et sans doute à juste titre qu'il puisse être puni pour ça.
Etre puni pour vol, ça c'était évident qu'il allait l'être. Par contre pour une main aux fesses...je pense que l'adulte aurait plutôt souri...
Je n'avais rien prémédité bien sûr, mais d'un coup l'occasion s'est présentée de faire une espèce de justice injuste. Alors je l'ai fait.
Evidemment je n'ai jamais recommencé une manoeuvre pareille. Mais j'en ai gardé une sorte de patience infinie pour saisir l'occasion de rendre la monnaie de leur pièce à ceux qui m'ont fait du mal. Si un jour elle se présente, et sans mentir pour autant, ce n'est souvent pas nécessaire.
Ce gamin n'était pas méchant, il n'avait je pense pas la moindre idée du mal qu'il m'avait fait. Il était juste élevé dans une société patriarcale de culture du viol, dans laquelle toucher les filles et leur soulever la jupe est un jeu amusant et non une agression.
Je voudrais aujourd'hui que pas une petite fille n'ait à user de ce genre de stratagème. Je voudrais qu'elles sachent toutes qu'elles seront protégées et défendues par les adultes. Je voudrais qu'elles soient préparées et qu'elles sachent se défendre, quoi faire, à qui faire appel.
Je voudrais que les petits garçons n'aient même plus l'idée de toucher les filles ou de leur soulever la jupe. Qu'ils soient élevés dans une culture de respect de l'autre et d'égalité entre les humains. Que la lutte contre la culture du viol commence au berceau. Qu'on appelle un chat un chat et une agression une agression. Que la honte soit du côté des agresseurs et non l'inverse.
Que le viol soit un crime.
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