Après Famille nombreuse et Nos vacances au bled, j'ai lu la dernière BD de Chadia Loueslati: Rien à perdre.
C'est une histoire autobiographique et très touchante qui parlera à beaucoup d'entre nouEs, surtout les femmes.
A l'adolescence, quand la poitrine des jeunes filles commence à pousser, celle de Chadia...est déjà très imposante. Et elle ne s'arrête pas.
Hélas elle devient la cible de moqueries, de jalousies, elle est sexualisée immédiatement par les garçons et les hommes qui ne voient en elle qu'une paire de seins, sans oublier les remarques graveleuses et regards lubriques quasi quotidiens qui l'accompagnent partout, du lycée au bus en passant par le supermarché...
Si le harcèlement de rue est une réalité quotidienne pour beaucoup d'entre nouEs, pour Chadia c'est encore pire. Les hommes ne se lassent pas de commenter plus ou moins grossièrement son corps, où qu'elle aille.
Tu vois quel enfer ça a dû être.
Il y a aussi la difficulté à s'habiller, sans oublier les douleurs diverses et la difficulté à pratiquer certains sports.
J'ai trouvé que l'aide et le soutien des adultes brillait par son absence...
Pour camoufler cette poitrine qui prend trop de place dans sa vie, Chadia se réfugie dans la nourriture et prend du poids, trop de poids.
Avec le temps, le fait de rencontrer son mari, enfin un homme qui ne la réduit pas à ses seins, et d'avoir des enfants la réconcilie doucement avec son corps dont elle décide de prendre soin.
Sport, alimentation, elle va mieux et finit par prendre une décision cruxiale: une opération pour réduire sa poitrine.
Si je n'ai pas traversé ces difficultés, je connais les complexes qu'on développe, ado. Le harcèlement de rue et la sexualisation permanente de mon corps dès que je franchissais ma porte. La méchanceté du harcèlement scolaire, dès qu'on est un peu plus faible, renfermé, timide, qu'on a une différence. J'ai été très touchée par son récit. Tant de souffrances au final, qui n'étaient pas dûes à sa poitrine mais au comportement des autres.
J'ai lu des commentaires disant qu'elle finissait par une injonction à rentrer dans le moule: je ne suis pas d'accord. Elle raconte son vécu et son parcours, comment elle a surmonté ses difficultés. Chacun réagit et gère comme il veut/peut. A aucun moment elle ne dit aux autres comment faire. Dans cette histoire, c'est elle la victime.
Comme dans ses précédentes BD, j'ai adoré son trait tout en rondeur, doux et tranché. Ses dessins sont vraiment chouettes et très expressifs. Je suis toujours aussi fan, même si ici l'ambiance est plus sombre que dans ses deux précédentes BD.
Que tu aies traversé ce genre d'expérience ou pas, cette BD soulève un problème de société précis mais aussi d'autres, ceux de la construction à l'adolescence, de la différence, de la sexualistation du corps des filles et des femmes, des injonctions faites aux femmes, du harcèlement scolaire, sexuel et de rue...
A mettre entre toutes les mains, celles de hommes aussi, dès le collège.