Car effectivement je l'ai. Mais je ne vais pas parler juste de moi, mais de tous les doc certifiés de France et de Navarre.
Si tu ne le sais pas, sache donc maintenant (et tu auras appris un truc aujourd'hui), que les documentalistes dans les collèges et lycées de notre chère éducation nationale ont un concours. Ce concours est le même que ceux des profs de matières (maths, français, et autres). C'est un CAPES.
Un CAPES c'est un concours qui permet d'accéder à l'enseignement en collège et en lycée (et parfois plus loin).
Il y a plein de CAPES: maths, français, histoire...et documentation.
Le CAPES c'est un concours très difficile pour le commun des mortels. Et il est d'autant plus dur que les places sont peu nombreuses.
Un CAPES avec 40 places à la clé, ça n'est pas la même difficulté qu'avec 100 ou 1000 places. C'est injuste, un concours. Tu peux bosser comme un âne, et être le 401ème alors qu'il y a 400 places. Et alors même que tu as eu une bonne note.Car la moyenne sur 20, c'est 10. Mais les moyennes d'admissions peuvent être à 15, tu vois? Donc tu peux avoir fait un bon boulot, si tu es 401ème avec 14,999 tu l'as dans l'os, coco.
L'année où je l'ai eu, le CAPES flirtait avec un taux de 5% de réussite. C'est dur, 5%. Quand tu sais que dans ceux qui l'auront, il y en a qui l'ont quasi d'avance parce que ce sont des méga-grosses têtes avec déjà un bac+12, tu sais que c'est pas gagné.
Mon cerveau est normal. Je ne suis pas une méga-grosse tête. Quand je bosse, je réussis mes examens. Quand je ne bosse pas, je foire. Mais là, ça n'est pas un examen, c'est bien plus balaise, et vicieux. La chance a aussi une part.
Car à l'oral, il faut plaire au jury.
En plus de maîtriser ton sujet, il faut leur plaire. Que personne ne vienne me dire le contraire, c'est juste évident pour moi.
Le jour de mes oraux, car il y en a deux, j'ai passé l'un d'entre eux sans trop de stress. Je connaissais mon sujet. Je l'avais traité en sujet blanc, j'ai eu de la chance. Je suis sure que je le maîtrisais, oh sans doute pas à 100%, évidement, mais quand même très bien.
L'oral c'est très bien passé, j'ai fait mon topo et j'ai su répondre à toutes les questions du jury. J'étais souriante et détendue.
Ils m'ont mis 7. Heureusement mes autres notes ont rattrapé ça.
Autre exemple: je me suis entraînée et j'ai fait mes révisions avec une copine. On avait en gros le même niveau et les mêmes connaissances. On ne s''est pas lâchées de toute la préparation.
Je l'ai eu, pas elle. Elle l'a retenté, nouvel échec, deux fois. Pourtant on avait les mêmes connaissances.
Donc ne vient pas me dire qu'il ne faut pas leur plaire.
L'année de préparation du CAPES, tu oublies de vivre. J'ai cessé de bosser, même le moindre petit job. Je me levais, je bossais. Je mangeais en 20 minutes, je bossais. Quand mon copain rentrait le soir, je m'isolais pour bosser. Les week-ends, je bossais en bibliothèque. LA BNF nouvelle version n'a pas de secrets pour moi. D'ailleurs je peux dire qu'elle est vachement mal chauffée.
Mon seul et unique loisir de la semaine était le ciné du samedi soir, et deux sorties piscine juste en bas de chez moi. Exit les soirées entre copines, les sorties, le shopping. Je me suis transformée en ermite, à 22 ans c'est pas évident.
J'ai bossé comme un âne, je peux le dire. Comme je n'avais jamais bossé, et comme je ne rebosserais sans doute jamais.
Je l'ai eu, parce que j'ai bossé dur, et parce que j'ai eu de la chance.
Ensuite, je ne le nie pas, j'étais fière. Très fière. Moi, j'étais dans les 5%. La petite banlieusarde ayant fait sa scolarité en ZEP, ses études supérieures à Saint-Denis, était dans les foutus 5%.
Sauf que la fierté, dès que tu te retrouves en poste, tu t'assois dessus!
D'abord autour de moi, peu de gens imaginaient ce que j'avais dû donner pour y arriver. Ensuite, beaucoup ne savaient pas en quoi consistait mon travail, et encore moins qu'il fallait un concours d'enseignant pour le faire.
Pour le commun des mortels, je suis devenu la "madame-qui-fait-chut".
Pire, dans le corps enseignant lui-même, nombreux sont les profs qui ignorent qu'il faille un CAPES pour être documentaliste. Et quand ils l'apprennent, beaucoup sont interloqués: le prof est snob en général, il tient à ses petites glorioles, sache-le (moi la première, la preuve, et si t'es pas content tu peux aller étudier ailleurs et pleurer.). "Quoi, disent-ils, ils ont un CAPES comme NOUS! Juste pour ranger des bouquins!" Comme si le fait que nous ayons un statut identique les dévalorisait. Ben oui, juste pour faire "chut" et ranger des bouquins, franchement!
Sauf que notre travail ne consiste pas à faire "chut" (d'ailleurs j'emploie une terminologie bien plus triviale que "chut", je bossais dans le 9-3, je te rappelle) ni à ranger des bouquins.
Sinon dis toi bien qu'on n'aurait, effectivement, pas besoin de CAPES!
Je passe sur le fait que mes collègues me demandaient souvent si "je voulais faire prof après?". Sur les CPE qui me prenaient pour un genre de surveillant planqué. Sur les connaissances qui me demandaient ce que je fais pour bouffer, et répondaient: "ah, c'est tranquille ça!". Sur d'autre collègues qui m'enviaient parce que je "ne suis pas au front".
Le CAPES est un concours d'enseignement. Je suis donc enseignante. Ceux qui pensent qu'on est planqués, je les invite à tenir un CDI pendant une année. De même que j'invite ceux qui critiquent les employés de la SECU ou de la poste à aller faire le job, pour voir.
Ce n'est ni l'usine ni la planque. Ça peut être l'enfer si tu n'es pas fait pour ça. Moi, c'est ma place. Mais j'en ai bavé pour l'avoir.
A tous ceux qui sont dans l'ignorance, qui trouvent que c'est pépère, je leur propose d'aller passer ce concours pour être eux aussi pépère.
Et je leur souhaite bien du plaisir.
C'est mon pavé dans la mare, pour la Mère Cane!