Souvent je cours.
J'ai tant de choses à faire, qu'il me faudrait 1000 vies, ou cesser de dormir, pour avoir une chance d'y arriver.
Un gâteau à mettre en route, un paquet à poser à la poste, une machine à étendre, mes com' à vérifier, une photo à poster, la baignoire à récurer, les courses sur le net à programmer, une copine à dépanner...
Parfois quand le Cromignon me demande de lui lire un livre, mon corps est avec lui mais mon esprit planifie.
Les mots sortent de ma bouche sans atteindre mon esprit.
Et parfois je respire.
Je sens son petit corps tout chaud collé contre le mien. Ses cheveux si blonds juste sous mon menton. Sa petite main si douce posée sur la mienne.
Je profite de son pied taille 19 qui pèse sur ma cuisse. Je l'écoute quand il me demande, encore, le nom des personnages du livre. Je lui réponds. Je vois sa petite bouche articuler méthodiquement: "acor'".
Ses petites lèvres qui bougent.
Le Cromignon a de petites lèvres ourlées, bien dessinées, et quand il parle c'est tellement beau que je pourrais mourir là, en étant heureuse.
Je sens sa respiration contre ma poitrine. Je sens qu'il se crispe un peu au moment clé de l'histoire. Qu'il retient son souffle.
Souvent il tourne les pages pour revenir en arrière, sur une image qu'il a particulièrement aimée. Et je comprends ce qu'il a aimé sur cette page. Il me demande de lui raconter à nouveau sa page préférée, et je suis contente d'ajouter des commentaires: "ah, je vois qu'elle t'a plu, cette image!".
Je sens son visage, je caresse sa joue rebondie, il n'y prête pas attention. Il est plongé dans l'histoire.
Je lui fait un bisou sur la tête, rien que pour sentir ses cheveux si doux et fins me caresser les lèvres.
Je sens sa petite vie contre moi. Il est beau, il est heureux, il va bien.
Ici et maintenant.
Je respire.