Il faut d'abord que je te dise que l'école Française républicaine, laïque, publique, gratuite et obligatoire, je l'aime.
Je sais qu'elle est une chance inouïe que beaucoup n'ont pas.
Je l'aime tant que j'y travaille, d'ailleurs.
J'aime à me voir comme une héritière des "petits soldats de la République" même si mon dévouement ne doit pas approcher le millième du leur.
Je lis et j'entends beaucoup de critiques sur l'école.
Beaucoup lui reprochent d'imposer une "normalité", de définir des cases dans lesquelles nos enfants doivent renter sous peine de tomber dans la spirale de l'échec scolaire.
De négliger les spécificités de chacun.
De laisser de côté ceux qui ne peuvent pas suivre, ceux qui sont plus lents, ceux qui ont des difficultés de concentration, etc...
On lui reproche de stigmatiser ces enfants.
On lui reproche aussi de ne pas intégrer les principes éducatifs présentés comme miraculeux, de Freinet à Montessori, Steiner et autres merveilleux penseurs et pédagogues.
Nombreux sont les parents qui, alors même que leur enfant n'est même pas encore scolarisé, ont peur de l'école publique pour ces raisons et pensent directement aux écoles privées faisant miroiter un plus grand épanouissement des enfants, une meilleure prise en charge des différences de progression de chacun, de la pédagogie adaptée à gogo.
Sans parler de ceux qui ont des enfants ayant déjà quelques difficultés à l'école.
Ceux-là voient ces nouvelles écoles basées sur des pédagogies dites alternatives comme le Saint Graal de l'éducation, la terre promise, la solution suprême.
Tu vas me maudire, parent concerné, vilipendeur de l'école publique. Mais au risque de te plonger dans une profonde dépression, je vais te dire ce que j'en pense: la solution suprême n'existe pas, pas plus que l'école parfaite.
Enseignante, fille d'enseignants, femme d'enseignant, amie d'enseignants, j'en ai vu passer, des gosses "peu adaptés" à notre système scolaire. Eh bien je te garantis qu'une grande majorité d'entre eux est inadapté à TOUT système scolaire. Parce que leur problème, ou leurs problèmes, dépasse de très loin le cadre scolaire. Leurs problèmes, ils les ont aussi en dehors: à la maison, dans la vie sociale, chez les grands-parents...
Je peux aussi te dire que des gamins biens dans leurs baskets ET en échec scolaire, j'en ai vu peu. Voire pas.
Conséquence, hurle la foule.
Et si c'était cause, plutôt?
Ou un peu des deux?
Je ne sais pas, hein, je m'interroge...
Ensuite, avant de hurler haro sur l'école comme cause de tous les malaises scolaires, il serait bon de vérifier, gens avisés.
Non, l'école publique ne rejette pas les pédagogies alternatives.
J'ai moi-même suivi un module Montessori pendant ma formation (j'ai d'ailleurs adoré, quelle bouffée d'oxygène!).
En maternelle notamment, beaucoup d'activités sont basées sur les même schémas pédagogiques. Parce que de toutes façons, ce serait tendu de faire du cours magistral à 3 ans, hein...
Ensuite, de plus en plus, les enseignants sont formés et incités à différencier la pédagogie pour toucher le plus grand nombre d'élèves possible.
Et ce n'est pas d'hier! Ma formation date d'il y a douze ans, et je devais lire "pédagogie différenciée" dans à peu près tous mes cours d'IUFM...
Biens sûr, c'est aussi au bon vouloir de chaque enseignant. Bien sûr, il y a des profs et des instits plus ou moins "bons", comme dans tous les corps de métier. Bien sûr, selon sur qui ton enfant tombera, il sera plus ou moins bien suivi personnellement.
Bien sûr!
Mais le plus grand nombre cherche a voir de bons cours, de bonnes activités, à avoir des classes calmes et au travail, à avoir des élèves en réussite. Ne serait-ce que d'un point de vue personnel.
Alors ils cherchent, essayent, expérimentent, se forment...et ne retiennent que ce qui est efficace. Le travail de groupe, l'éducation sensorielle, le développement de l'autonomie, l'auto-correction, l'entraide entre élèves....ne serait-ce pas des bases de la pédagogie Montessori, par exemple? Eh bien je te garantis que les mêmes concepts sont employés pour la formation des enseignants de l'école publique! Et si tu lis les circulaires de mission des profs, tu les retrouveras toutes les deux lignes.
Où est-ce que le bât peut blesser?
Dans les effectifs.
Oui, parce que faire de la pédagogie différenciée avec des classes hétérogènes à 30...
L'école publique est conçue pour accueillir le plus grand nombre. C'est sa beauté et sa faiblesse. Elle n'est pas parfaite. Aucune école ne l'est. Elle ne le sera jamais.
Mais on peut l'améliorer.
Et ça ne peut pas se faire en la fuyant pour mettre ses enfants dans le privé, aussi performant et coûteux soit-il, ou te promet-il d'être. Parce les écoles qui font miroiter l'épanouissement de TOUS les enfants sont des menteuses.
Parce que payer cher n'est pas un gage de qualité et encore moins de bonheur.
Parce que finalement, beaucoup d'enfant y sont bien, dans nos écoles. Parfois il y a des phases difficiles, des rendez vous manqués, mais souvent tout se règle avec un bon travail d'équipe, une communication et un maillage enseignants-parents. Et puis souvent, juste avec du temps...
Certains sont laissés pour compte à l'école, mis dans des cases? Ne le seraient-ils pas ailleurs?
Les cases, loin d'être forcément nuisibles, permettent de mettre des mots sur les choses, et de trouver aussi des solutions.
Quand on est malade, on préfère en général trouver le diagnostic pour établir un traitement, n'est-ce pas? Et pourtant on n'accuse pas nos médecins de nous fourrer dans des cases réductrices?
Avant de se tourner vers des écoles alternatives privées, fort chères, il serait bon d'être VRAIMENT sûr que le problème de l'enfant vient de l'école publique et serait mieux pris en charge ailleurs...et ça, je te parie mes bottes que ce n'est pas gagné!
Ensuite, attention à ne pas jouer le jeu de certains partis qui voudraient, à l'instar de beaucoup d'autres pays, une école à deux vitesse: une école publique plus que médiocre pour les "pauvres", une école privée de qualité et avec des effectifs réduits pour ceux qui peuvent se l'offrir.
Ce serait jouer le clivage des classes sociales voulu par les élites, qui veulent rester "entre-soi" et rendre impossible l'incroyable fonction d'ascenseur social que peut être notre école publique.
Pour finir, je dirais aussi que ce n'est pas l'école qui met les enfants dans des cases en ne respectant pas leurs différences. C'est la vie en société en général. Crois-tu qu'un patron va s'embarrasser de ce genre de préoccupations pour faire tourner son entreprise?
"Attention, lui est un lève tard, je ne vais pas le pénaliser parce qu'il n'est pas productif le matin."
"Oh, elle n'est pas douée en orthographe, sans doute a t'elle des talents artistiques, je ne vais pas lui demander de taper mes rapports".
"Celui-ci a une concentration assez limitée. Je ne vais pas lui en vouloir de bailler aux corneilles au bout d'un quart d'heure de réunion avec les actionnaires."
Allons donc....
La norme, le moule...ce n'est pas que l'école qui te demande de rentrer dedans. C'est le monde du travail, et le monde tout court.
Plutôt que de la critiquer et de la fuir, notre école, on pourrait se bagarrer pour l'améliorer, non?
